Pourquoi ne pas faire de la santé un mot de ralliement des prochaines mobilisations écologiques ? Voilà ce que plaident les auteurs de cette tribune. Un bon moyen de déjouer la « politique punitive » qui tente de discréditer l’écologie. Le bureau de redirection écologique Sinonvirgule publie ces jours-ci une étude sur l’approche One Health et signent ce texte avec de nombreux acteurs engagés de la société civile (retrouvez la liste en pied de page).
Tribune
La santé est une dimension particulièrement importante de la vie en société, comme en témoignent les plaintes qui se sont multipliées ces dernières années contre l’État, pour contamination des eaux et des sols par les pesticides ou non-respect des seuils européens de pollution de l’air. Alors, face à une dévalorisation de l’écologie par les discours conservateurs — elle serait nécessairement « punitive », racketterait les automobilistes, pénaliserait les agriculteurs, etc. —, ne pourrait-il pas être judicieux pour les militants, associations et partis progressistes de faire de la santé le nouveau mot de ralliement populaire de l’écologie et de la justice sociale ?
Soutenue par les grandes organisations internationales, notamment l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNNUE), l’approche One Health (ou « Une seule santé ») s’attache à promouvoir une idée simple : la santé humaine est intimement liée à celle des milieux naturels et des espèces (animales, végétales, microbiennes) qui les habitent.
Nous sommes malades, parce que l’environnement est malade
En effet, les liens entre dégradation écologique et dégradation de notre santé sont nombreux et dorénavant largement démontrés. La croissance des maladies chroniques (cancer, diabète, asthme, troubles du comportement, infertilité, etc.) est désormais indissociable des pollutions en tout genre ; les décès et difficultés de santé en été dus au réchauffement climatique ; les nouvelles maladies infectieuses, telle la grippe aviaire, de la déforestation et du rapprochement induit entre espèces sauvages et activités humaines.
En d’autres termes, nous sommes malades parce que l’environnement est malade. Et c’est bien parce qu’elle fait ce lien entre des phénomènes écologiques globaux, parfois difficiles d’accès, et des préoccupations plus quotidiennes et immédiates que la santé peut aujourd’hui devenir le socle d’un nouveau discours mobilisateur qui pourrait rebattre les cartes.
Le combat contre l’élevage intensif et pour le bien-être animal pourrait devenir celui de la réduction des risques de zoonoses et de l’amélioration des conditions de travail des éleveurs. En plus de dénoncer la destruction des milieux naturels, les collectifs luttant contre l’artificialisation des sols pourraient alerter sur les conséquences de la pollution de l’air occasionnée par les usines à bitume nécessaires à la construction d’infrastructures comme l’A69. Plus largement, la mobilisation contre le réchauffement climatique pourrait accentuer la dénonciation de ses effets sur la santé physique, sociale et mentale, à l’instar de la plainte récemment portée contre Total pour homicide involontaire et mise en danger de la vie d’autrui, qui a un trouvé un large écho dans la société civile.
Une santé plus politisée et préventive
Ce faisant, cette association d’enjeux pourrait avoir aussi comme bénéfice de politiser la santé, en s’éloignant d’une conception individualisante, qui stigmatise les comportements individuels, et en reconnaissant au contraire l’influence de facteurs plus larges appelés « déterminants de santé ». Souvent définie exclusivement comme l’absence de maladie, la santé pourrait ainsi s’enrichir d’une plus forte dimension collective et préventive.
Des campagnes de sensibilisation pourraient par exemple faire connaître davantage l’impact sanitaire de ce qui nous entoure (la qualité des milieux naturels au sein desquels nous vivons, mais aussi l’alimentation, l’habitat, l’urbanisme, etc.) et ainsi amener à la remise en question de certains choix de société au nom de la santé.
Dans cette reconfiguration du discours écologique, il s’agit de ne pas oublier que certains publics sont plus frappés que d’autres par les problèmes de santé liés à l’environnement, soit parce qu’ils y sont plus exposés, soit parce qu’ils ont moins les moyens d’y faire face. Ces inégalités sont liées à la classe sociale (avec des personnes plus ou moins capables d’équiper ou de rénover leur logement), au lieu de vie (plus ou moins proche d’autoroutes, d’usines ou de sites pollués), à la profession (plus ou moins pénible) ou encore du genre (les femmes ayant plus de risques de manipuler des produits toxiques au cours de leur vie). À titre d’exemple, en France et d’après l’Insee, la différence d’espérance de vie entre les 5 % des hommes les plus pauvres et celle des 5 % les plus riches s’élevait à treize ans en 2018.
Ainsi, et alors que les dernières élections ont fait peu de cas de la question écologique, communiquer davantage sur les liens entre la mauvaise santé des humains et la dégradation accélérée des milieux naturels pourrait favoriser une prise de conscience élargie et forcer les décideurs politiques à agir. En avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a ainsi jugé que la Suisse avait violé « le droit à la vie » de 2 500 plaignantes en ne luttant pas assez contre le réchauffement climatique. Plus tôt dans l’année, le combat mené contre l’interdiction des PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), aussi appelés « polluants éternels » avait aussi forcé le Parlement à légiférer pour limiter leur diffusion
En somme, et en la brandissant comme un commun devant être préservé à l’aide d’actions préventives sur les milieux naturels, notre santé peut devenir le nouvel étendard pour exiger de rediriger nos économies, de renoncer à des projets écocidaires ou de réaménager nos territoires. Ensemble, militants, associations et organisations engagées, nous avons la responsabilité de porter cette convergence des enjeux de santé et d’écologie. C’est sans doute au prix de ce renouveau qu’ils pourront trouver la place centrale qu’ils méritent.
Les signataires
ONE France
Algrain Stacy, journaliste, La Corneille
Andrieux Valentin, militant & responsable communication, Pour un réveil écologique
Bartoli David, enseignant, Université de Tours
Bergamaschi Yann, fondateur & coordinateur, La Fabrique des santés
Besombes Camille, médecin épidémiologiste et chercheuse, Sciences Po
Boé Julien, activiste
Crozet Clement, écologue, Architecture Santé
Decodts Arnaud, étudiant, Collectif Éco Mouvement
Fréderic Keck, directeur de recherche, CNRS Laboratoire d’anthropologie sociale
Gabon Mathéo, ingénieur, Accenture
Gé Bartoli David, philosophe et enseignant, Université de Tours
Gosselin Sophie, philosphe et enseignante, EHESS & Revue Terrestres
Harpet Cyrille, enseignant chercheur, Université de Rennes
Ingrid Bauer & Jessica Bros, journalistes et cofondatrices, Hum media
Lainé Nicolas, anthropologue, Institut de Recherchepour le Développement (IRD)
Lajaunie Claire, chercheuse, Inserm
Morand Serge, chercheur, CNRS
Moreau Inès, créatrice de contenus engagés, Les Petits Gestes
Novel Anne-Sophie, journaliste et autrice indépendante
Payen Magali, fondatrice, On Est Prêt
Piot Gabrielle, responsable partenariats et écosystème, 2tonnes
Popoff Mélanie, médecin, Ville de Paris
Pourpre Renaud, vulgarisateur scientifique, Exaltia
Priou Emilie, entrepreneure, Wildlife Impact Network (WIN)
Reneaux Marc, conseiller, Lauragais Sans Bitume
Robert Alexandre, infirmier de santé planétaire, Alliance Santé Planétaire & Climate Action Accelerator
Saulnier Terence, vulgarisateur scientifique, Collectif Exaltia & Scientifiques en rébellion
Sauvee Quentin, CEO, Jaji Conseil
Treibert Marie, vulgarisatrice scientifique, La boite à curiosités
Yakovlev Marina, rédactrice en chef et consultante, EcoYako
Blaes Benoit, médecin généraliste, Le Jardin - Centre de santé communautaire et planétaire
Retranscription réalisée par Yann Bergamaschi, fondateur et coordinateur de la Fabrique des santés, co-signataire de cette tribune. Tous nos remerciements à Reporterre - Le media de l'écologie, source de cette publication, qui nous a fait l'amitié d'accepter que nous la ré-utilisions sur ce blog.